“POINT DE SUTURE”, de Marina de Van

Parution le 29 octobre 2025. 

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Gena prend grand soin de son apparence. Elle est une maquilleuse en vogue, travaillant dans les festivals pour les défilés. Une brûlure non soignée va l’amener à une chirurgie la laissant provisoirement défigurée. Quand vient le jour de lui rendre un visage humain, elle refuse et part en dépit des risques médicaux. Son renoncement complet à la beauté qui structurait sa vie et son identité, son acceptation de la monstruosité de son visage la conduit à un nouveau regard sur le monde. Mais cet éveil mystique ne cache-t-il pas en réalité la noirceur d’un terrible secret ? 

Avec Point de suture, Marina de Van bouscule à nouveau le lecteur dans un roman troublant, vertigineux et dérangeant.

EXTRAIT : 

« Elle ressent la douleur, le désenchantement propre au deuil, et elle perçoit la maturation de son appendice comme un fruit : une figue cuite, molle et fendue, vomissant sa chair à grains roses, filandreuse, et que Gena recouvre d’une crème vanillée. Au sein de la douleur, la peur de Gena devient énorme et hideuse ; c’est une nébuleuse, un trou noir qui se meut vers elle depuis un espace fragmenté, atomisé, l’œil coléreux d’un cyclone où son corps sera disloqué, et où résonnent des mots : la roue tourne, le sang appelle le sang, qui a bu boira. Sera-t-elle défigurée ? Définitivement enlaidie par une vilaine mutilation ? Le cratère sur son nez fait écho à l’œil fumant qu’elle sent s’abattre sur elle. Pour elle, la profondeur de l’espace d’où cet œil noir se précipite est celle du temps, à nouveau, le temps assassin, rampe de propulsion d’un bolide qui vient du passé pour fracasser le présent, qui monte à la surface de chaque instant comme la nourriture qu’on régurgite, et qui coïncide avec l’éclatement de l’apparence de Gena : dans le miroir, le visage au nez desquamé qu’elle perçoit semble étranger et vague, comme une esquisse infusée, et elle tisse sur ce champ nu une cartographie sophistiquée, réinventant au pinceau la forme de ses yeux, de son nez, de sa bouche, croyant chaque jour sécréter un facies différent. La maquilleuse ne se connaît plus de limite, peignant et sculptant à outrance le visage blessé. Et l’étonnement où elle s’absente, appuyée au miroir où elle ne se reconnaît plus, la renvoie chaque fois à cette terreur de la perte, qui rôde, qui empeste l’atmosphère avant de disparaître comme vent et nuages, comme une oscillation passagère entre la veille et le sommeil dont sa mémoire peine à garder la trace. Mal à l’aise, inquiète, elle cherche à se remémorer tous les dictons de bonne femme dont elle a la tête farcie, toutes ses lectures de la presse féminine, toutes ces images populaires : faire son deuil, s’épanouir, aller de l’avant, faire la paix avec le passé, oublier le trauma, se souvenir du trauma, s’accepter, s’assumer, faire un quatre-quarts avec des petits-beurre. Et lui revient sur la même fréquence l’existence d’outils d’investigation pour le chaos qu’est devenue sa vie psychique, harassée par le chagrin et le souci de la plaie : la psychanalyse, l’hypnothérapie. Son front oscille entre les deux branches comme un animal dérouté. »

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